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« L’approvisionnement alimentaire de l’Afrique passera par les produits locaux » (Nicolas Bricas, Cirad)

(Agence Ecofin) – Avec la demande alimentaire du continent africain appelée à augmenter dans les prochaines années, le défi principal réside dans la limitation des achats sur le marché international. Alors que souvent l’accent est mis sur le secteur industriel pour y parvenir, le tissu de l’artisanat et des PME prend de plus en plus d’importance dans les villes. Souvent délaissées par les soutiens publics, les micro-entreprises agroalimentaires n’en demeurent pas moins essentielles pour de nombreuses populations en milieu urbain ou péri-urbain. Dans un entretien avec l’Agence Ecofin, Nicolas Bricas, chercheur au Cirad et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde, souligne que les produits locaux ont un rôle crucial pour la construction du système alimentaire de demain sur le continent si l’environnement est propice pour leur développement.

Agence Ecofin : Il y a eu sur ces dernières années, une recrudescence des initiatives de la société civile et d’ONG, notamment en Afrique de l’Ouest, pour la promotion des produits locaux face à la concurrence des produits importés. Certains parlent même de « bataille pour le consommer local ». Que pensez-vous de cette tendance ?

Nicolas Bricas : Je pense qu’il est tout à fait pertinent de donner à la production agricole locale une part plus importante dans la satisfaction des besoins.

Nicolas Bricas : « La production locale pourrait souvent être qualifiée d’agroécologique.»

Quand je parle du local, cela inclut aussi bien ce qui est produit dans le pays que dans les pays proches aux productions complémentaires, dans la sous-région. Le degré de recours aux marchés internationaux pour se nourrir est variable d’un pays à l’autre, au sein du continent africain. Par exemple, le Sénégal est historiquement, depuis les années 60, un pays qui recourt largement à des importations alimentaires : riz, blé, poudre de lait, huile, oignons, etc. Comparativement, le pays voisin qu’est le Mali est beaucoup moins dépendant des achats sur le marché international.

Le taux d’urbanisation ne fait pas tellement la différence. Ainsi, le Nigeria, très peuplé et très urbanisé, n’a qu’un recours limité aux importations alimentaires. Certes, le riz et le blé importés nourrissent davantage les villes que les campagnes. Mais n’oublions pas que les céréales ne représentent, en valeur économique, qu’un tiers environ du marché alimentaire des villes de l’Afrique de l’Ouest. Un second tiers est constitué des produits d’origine animale – viandes, poissons, produits laitiers et œufs – et un troisième tiers de tous les autres produits de sauce – légumineuses, huiles, légumes, produits sucrés et fruits – et des boissons. Et pour ces deux derniers tiers du marché urbain, les produits africains dominent largement.

« Mais n’oublions pas que les céréales ne représentent, en valeur économique, qu’un tiers environ du marché alimentaire des villes de l’Afrique de l’Ouest.»

Pour revenir aux céréales, le fait que leurs prix sur les marchés internationaux sont devenus instables depuis 2008 rend d’autant plus pertinente la diversification des sources d’approvisionnement.

« Tout ce secteur génère des revenus et des valeurs ajoutées qui restent dans le pays.»

Ne pas dépendre des seuls riz et blé, mais jouer sur les complémentarités avec le maïs, le manioc, l’igname, la patate douce et la pomme de terre, le plantain, le niébé, tous produits dans la sous-région, est un moyen de s’affranchir des risques de flambées de prix. Il ne faut pas mettre tous ces œufs dans le même panier comme on dit.

AE : Un des arguments de poids en faveur des produits locaux est qu’ils ne consomment pas une grande quantité d’intrants chimiques et qu’ils génèrent des revenus importants pour les économies locales. Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Bricas : Je suis tout à fait d’accord avec ces deux idées. La production locale pourrait souvent être qualifiée d’agroécologique. Elle s’appuie sur des savoir-faire paysans rôdés depuis des décennies, sur une multitude de terrains divers et relativement résilients face aux aléas naturels. Elle utilise effectivement une diversité de variétés adaptées à chaque contexte agroclimatique plutôt qu’un nombre limité de variétés standards. Elle consomme peu d’engrais chimiques et de pesticides, car les productions s’insèrent dans des systèmes diversifiés, à l’opposé de monocultures plus fragiles aux maladies et nécessitant plus de traitements. Elles sont donc moins risquées pour la santé, d’autant que l’introduction récente de produits chimiques se fait souvent dans un contexte de formation et de contrôle insuffisants, faisant courir de sérieux risques sanitaires tant aux producteurs qu’aux consommateurs.

« Cette diversification constitue un grand champ d’opportunités pour les systèmes alimentaires locaux.»

Certes les rendements sont nettement améliorables pour certaines cultures et la recherche agronomique s’y investit avec de nouvelles démarches qui s’appuient davantage sur les savoirs paysans. Il y a des marges de manœuvre pour améliorer la performance et la résilience des systèmes de production. Il faut soutenir la recherche et les organisations paysannes pour y travailler ensemble.

Cette production locale est essentiellement assurée par les petits exploitants. Elle est transformée, commercialisée et distribuée par des milliers, il faut même dire, à l’échelle des pays, des millions de femmes et d’hommes.

« Cette production locale est essentiellement assurée par les petits exploitants. Elle est transformée, commercialisée et distribuée par des milliers, il faut même dire, à l’échelle des pays, des millions de femmes et d’hommes.»

Tout ce secteur génère des revenus et des valeurs ajoutées qui restent dans le pays, contrairement aux industries multinationales qui enrichissent plutôt les pays industrialisés d’où elles sont originaires. Autour de ces activités, depuis la production jusqu’à la consommation et la valorisation des déchets, gravitent une multitude d’activités de conditionnement et de production d’emballage, de production d’équipements manuels et mécanisés de transformation (moulins, râpes, presses), de transport, de manutention, de services. C’est cet ensemble que l’on appelle le système alimentaire. Et celui-ci s’est considérablement développé, notamment avec l’urbanisation et maintenant avec la croissance des marchés ruraux.

AE : Quelle place ce système agroalimentaire, en majorité artisanal, peut-il occuper dans l’approvisionnement des villes de demain ? Le local peut-il répondre aux besoins des consommateurs urbains dont les exigences sont croissantes ?

Nicolas Bricas : Je pense que cela dépend des pays. Il y a des pays dans lesquels la forte croissance de la population et l’urbanisation rapide rendront nécessaire une vraie révolution agricole pour permettre une relative autosuffisance. Mais on a des exemples comme le Nigeria qui a connu une forte croissance agricole et est aujourd’hui très largement nourri avec la production locale.

« Mais on a des exemples comme le Nigeria qui a connu une forte croissance agricole et est aujourd’hui très largement nourri avec la production locale.»

La grande tendance d’évolution des comportements alimentaires dans les villes, en Afrique comme partout dans le monde, est la diversification alimentaire. Par le passé, on consommait dans sa zone rurale, une céréale de base, ou un tubercule ou une racine de base qui était ce qu’on cultivait. Aujourd’hui en ville, les habitants consomment non seulement les aliments habituels, mais ont désormais intégré de nouveaux produits de base dans leurs habitudes et ont également diversifié les sauces.

« On est en train d’assister à la marchandisation de la dernière étape du système : la cuisine.»

Cette diversification constitue un grand champ d’opportunités pour les systèmes alimentaires locaux. Ceci a bénéficié à des produits comme le maïs, le manioc, l’igname, le plantain, le niébé, qui étaient des produits d’autoconsommation et sont devenus des cultures commerciales. Mais on voit aussi d’autres filières se développer : celles par exemple du fonio, du sésame, de l’oseille de Guinée (bissap), du souchet, de la pastèque, des produits forestiers condimentaires, de certains fruits, sans parler des produits d’origine animale. Et cette diversification ne se joue pas seulement dans la production, mais aussi dans la transformation. Au Bénin, près d’une quarantaine de produits à base de maïs, plus ou moins fermentés, cuits de diverses façons, ont été recensés. Le manioc est transformé sous diverses formes et certaines deviennent emblématiques de la cuisine de certains pays comme l’attiéké (semoule granulée fermentée cuite à la vapeur) de Côte d’Ivoire ou le gari (semoule grillée) du Bénin.

« Le manioc est transformé sous diverses formes et certaines deviennent emblématiques de la cuisine de certains pays comme l’attiéké (semoule granulée fermentée cuite à la vapeur) de Côte d’Ivoire ou le gari (semoule grillée) du Bénin.»

Ces dynamiques ne doivent pas faire oublier que l’émergence de la classe moyenne urbaine génère un marché potentiel pour des produits transformés industriels qui incorporent plus de valeurs ajoutées : garantie de qualité sanitaire, plus longue conservation, conditionnement sophistiqué, etc. De nouvelles filières d’importation du marché international et de nouvelles entreprises étrangères s’implantent pour exploiter ce marché. Et cette dynamique aiguise la concurrence avec les produits locaux qui n’ont, jusqu’à présent, que peu bénéficié d’accompagnement pour améliorer leur compétitivité. La formation des professionnels des métiers de l’artisanat et des PME agro-alimentaires est encore insuffisante. La distribution évolue avec l’implantation des libres-services et des supermarchés et la logistique est en train de subir une révolution avec l’arrivée du numérique. Peu d’entreprises locales y sont préparées.

« La distribution évolue avec l’implantation des libres-services et des supermarchés et la logistique est en train de subir une révolution avec l’arrivée du numérique. Peu d’entreprises locales y sont préparées.»

Certes le secteur est très dynamique, innove constamment, s’adapte à ces changements, mais l’environnement dans lequel évoluent les systèmes alimentaires locaux peut parfois les handicaper.

« L’enjeu n’est pas qu’économique, compte tenu des emplois que représente ce secteur. Il est aussi culturel.»

Les marchés sont souvent peu salubres, peu de plateformes de transformation équipées sont disponibles pour les PME, l’offre en emballages est insuffisante et le sachet plastique est encore le principal moyen de conditionnement. Par ailleurs, l’offre en crédit reste mal adaptée aux toutes petites entreprises et le conseil est limité. Il y a encore besoin de construire d’ambitieuses politiques d’accompagnement des systèmes alimentaires locaux. L’enjeu n’est pas qu’économique, compte tenu des emplois que représente ce secteur. Il est aussi culturel. Car ce que portent les systèmes alimentaires locaux, c’est l’identité alimentaire de l’Afrique de demain, ni imitation des modèles occidentaux, ni perpétuation des modèles traditionnels ruraux. Les cultures alimentaires ont toujours été vivantes, ont toujours évolué, valorisant des traditions ancestrales en les faisant évoluer, incorporant des éléments exogènes, inventant de nouvelles cuisines, de nouvelles façons originales de consommer.

AE : Certains estiment que la consommation des produits locaux et la sécurité alimentaire vont de pair. Etes-vous de cet avis ?

Nicolas Bricas : Oui, il est tout à fait compatible d’améliorer la sécurité alimentaire en s’appuyant sur la production locale. Il ne faut pas oublier que la sécurité alimentaire en Afrique comme ailleurs, ne se limite pas à la quantité de nourriture nécessaire pour alimenter la population. S’il y a de l’insécurité alimentaire, c’est parce qu’une partie de la population n’a pas accès aux moyens de production pour nourrir sa famille, n’a pas accès à de bonnes terres ou à des équipements pour produire suffisamment, ou ne dispose pas d’un revenu suffisant pour acheter de quoi bien se nourrir. Ce sont aujourd’hui les inégalités sociales, la pauvreté, le manque d’activités économiques, chez les jeunes notamment, qui posent un problème d’insécurité alimentaire.

La production locale représente, comme je l’ai dit, des millions d’activités économiques. Ces activités valorisent des savoir-faire y compris de personnes qui ont un niveau d’éducation faible. Elles permettent à ces personnes de sortir de la pauvreté. Il ne faut pas évaluer la performance des systèmes alimentaires à leur seule capacité à produire assez de nourriture. Il faut aussi les évaluer à leur capacité à fournir des emplois et des revenus.

« Il ne faut pas évaluer la performance des systèmes alimentaires à leur seule capacité à produire assez de nourriture. Il faut aussi les évaluer à leur capacité à fournir des emplois et des revenus.»

Par ailleurs, la sécurité alimentaire suppose également l’accès à des aliments de bonne qualité nutritionnelle. Aujourd’hui, on sait que l’un des meilleurs moyens d’améliorer la situation nutritionnelle, en particulier pour lutter contre les carences en micronutriments comme le fer ou la vitamine A, c’est de diversifier l’alimentation, de manger des produits variés plutôt que de recourir à des aliments industriels enrichis. Jouer sur la diversification de l’offre alimentaire participe d’une amélioration de l’état nutritionnel. Donc définitivement oui, production locale et sécurité alimentaire sont parfaitement compatibles.

AE : Quels sont les autres défis qui sont liés au développement des filières locales, au-delà de la question de la qualité ?

Nicolas Bricas : Il y a un nouvel enjeu qui arrive dans les villes d’Afrique, comme ailleurs, dans tout le système alimentaire mondial avec internet. Il s’agit de la commande à distance et de la livraison à domicile. Le système alimentaire s’est marchandisé en commençant par la production agricole, puis progressivement s’est étendu à la transformation et à la distribution.

Autrefois, dans le monde majoritairement rural, les agriculteurs produisaient leur propre nourriture, la transformaient dans l’espace domestique. Progressivement avec le développement des villes, les filières alimentaires marchandes se sont mises en place. Les agriculteurs vendent une partie de leur production et il y a une multitude d’acteurs qui transforment les récoltes, assurent la distribution, le conditionnement, le transport et la restauration. On est en train d’assister à la marchandisation de la dernière étape du système : la cuisine. Certes les restaurants, gargotes et maquis existent depuis longtemps. Mais avec la commande par internet, le secteur de la restauration se transforme.

« Manger des produits variés plutôt que de recourir à des aliments industriels enrichis.»

Depuis leur domicile, certaines cuisinières de confiance préparent pour plus de convives que leur famille et vendent des portions de leurs plats cuisinés que des consommateurs peuvent commander par internet, et se les faire livrer sur leur lieu de travail ou à domicile ou passer les chercher chez la cuisinière. Pour la cuisinière, c’est une source de revenus. Pour le consommateur, c’est un moyen d’accéder plus facilement à une cuisine de qualité. C’est déjà le cas en Asie, en Amérique et plus récemment en Europe, et cela est en train de venir en Afrique. Actuellement, c’est une certaine classe aisée qui peut se permettre de ne pas cuisiner tous les jours pour elle-même et commander régulièrement. Mais cette tendance s’élargit aux classes moyennes et plus populaires. Je pense qu’il faut intégrer cela dans les possibilités d’action. C’est un espace de créativité et d’invention de la cuisine de demain.

« Actuellement, c’est une certaine classe aisée qui peut se permettre de ne pas cuisiner tous les jours pour elle-même et commander régulièrement. Mais cette tendance s’élargit aux classes moyennes et plus populaires.»

Une conséquence possible de cette marchandisation de la cuisine est qu’elle peut remettre en question les rapports de genre dans le système alimentaire, c’est-à-dire la distribution des rôles entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui, le système est majoritairement dominé par les femmes, surtout dans la transformation, la commercialisation et dans la restauration. Si l’on cuisine moins à la maison et qu’on achète plus à ses voisines ou ses voisins de confiance, quelles conséquences pour l’organisation des ménages ? Or cette organisation est au cœur du fonctionnement des sociétés. L’alimentation c’est bien plus que se nourrir. C’est organiser la société, le lien social, c’est source de plaisirs, source d’identités culturelles et c’est aussi une façon d’organiser les rapports sociaux entre homme et femme, mais aussi entre citadins et agriculteurs.

Les systèmes alimentaires sont en plein essor, mais les défis sont nombreux face à la multiplication des risques climatiques, sanitaires, économiques et politiques. La gouvernance de ces systèmes ne peut pas être accaparée par quelques acteurs économiques puissants. Pour que l’Afrique invente son propre système alimentaire, elle doit être souveraine dans sa gouvernance. Cela ne veut pas dire que le continent n’importera rien. Les échanges avec l’extérieur sont enrichissants. Mais, cela doit se faire de façon équilibrée et il faut d’abord dynamiser ses propres forces.

Article tiré du site Agence Ecofin

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OPINION – L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE PERMETTRA-T-ELLE DE NOURRIR L’AFRIQUE À SA FAIM ?

A l’heure où nourrir les populations représente encore un défi dans certains pays africains, il peut sembler utopique de s’intéresser à l’agriculture biologique, et aux bénéfices dont pourraient en tirer les économies africaines. Pourtant ce type d’agriculture permettrait de lutter contre la désertification progressive qui sévit sur le continent, et de garantir une meilleure autosuffisance alimentaire.

L’agriculture biologique en Afrique se résume pour certains à un doux rêve de bobo idéaliste. Pour d’autres, il est souhaitable que les pays africains se tournent vers ce type d’agriculture dans une perspective de durabilité des ressources. L’on conçoit souvent l’autosuffisance alimentaire comme le résultat d’une agriculture intensive, dont les hauts rendements exigent l’utilisation d’engrais industriels et de pesticides. Bref, faut-il vraiment produire plus pour manger plus ?

Une étude publiée par l’Institut de Développement Durable basé à Addis-Abeba, en partenariat avec la FAO et la Société Suisse pour la Conservation de la Nature retrace l’une des premières expériences scientifiques d’agriculture biologique menée sur la période 2000-2006. Les recherches ont porté sur la région de Tigray, située au nord de l’Ethiopie, où les terres agricoles ont subi une forte dégradation dans un contexte de sécheresse persistante. La conversion des terres en terrains biologiques, qui nécessite trois à quatre ans, a permis de doubler les rendements dans la région, notamment grâce à l’utilisation de fertilisants naturels, à une meilleure gestion des eaux de pluies, et à la réintroduction de végétaux permettant de lutter contre l’érosion des sols.

Cette expérience a le mérite de démontrer que la désertification progressive du continent n’est pas une fatalité. L’agriculture biologique, en optimisant et modernisant les méthodes de l’agriculture traditionnelle, constitue une solution efficace face à la dégradation des terres cultivables et à l’érosion des sols. L’intensification agricole de ces dernières années a eu de lourdes conséquences sur la qualité des sols africains : les monocultures, le surpâturage, l’agriculture sur brûlis et l’irrigation mal maîtrisée ont considérablement appauvri les terres cultivables. La transition agricole tant attendue ne s’est pas accompagnée d’une hausse réelle des rendements. La lutte contre le processus de désertification à travers la généralisation de l’agriculture durable permettrait ainsi d’accroître la production et de réduire la dépendance alimentaire du continent.

L’agriculture biologique est pourtant loin de faire l’unanimité chez les experts africains. Lors d’une conférence au Rwanda en octobre 2015, le CIALCA (Consortium for Improving Agriculture-based Livelihoods in Central Africa) a écarté l’idée d’un débat idéologique opposant agriculture intensive et biologique. Les deux approches sont, selon les experts, complémentaires et pertinentes à des stades de développement différents. Cette approche pragmatique part du constat que l’agriculture africaine est par nature biologique, avec la faible utilisation d’engrais et de pesticides, qui conduit à de faibles rendements. La « troisième voie » proposée, celle de « l’intensification durable », combine ainsi les deux approches, avec comme objectif d’éradiquer la faim dans les régions sous forte pression démographique, à travers l’introduction de variétés de fruits et légumes améliorées, et de cultures intercalaires (juxtaposition de plusieurs cultures, pour bénéficier de synergies de production).

Au-delà de la préservation des terres, le développement de l’agriculture biologique permettrait à terme aux populations locales d’obtenir une meilleure rémunération de leur travail. Les produits issus de ce type d’agriculture offrent de meilleures marges que les produits standards. La demande de produits biologiques est en forte croissance dans les pays européens. Les producteurs africains tournés vers les marchés d’export pourraient sensiblement améliorer la rentabilité de leurs exploitations après la conversion de leurs surfaces en terres biologiques. L’agriculture biologique convient d’ailleurs particulièrement aux petites exploitations, qui cultivent souvent les terres selon les méthodes traditionnelles. Certains pays ont bien compris la manne que pourrait représenter une production agricole biologique de qualité, et encouragent les producteurs dans leurs démarches de certification grâce à des programmes financés par la FAO. La certification étant indispensable pour exporter sur les marchés européens. Les pays bénéficiant aujourd’hui des plus grandes surfaces agricoles biologiques sont l’Ouganda, la Tunisie, l’Ethiopie et la Tanzanie, avec des cultures dites de rente comme le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.

Face à l’échec de l’intensification agricole de ces dernières années, l’agriculture biologique présente de réels avantages pour les producteurs africains : proche de l’agriculture traditionnelle, elle contribue à limiter l’érosion des sols, et permet aux populations de bénéficier de ressources durables dans un contexte de forte pression démographique. La structuration progressive des filières export, notamment grâce à la certification, constitue une assurance pour les exploitants africains de vendre leurs produits à bon prix, se protégeant ainsi contre les fluctuations des marchés agricoles mondiaux.

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Article tiré du site iedafrique.org